La fuite des cerveaux

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Commençons par une expérience toute simple.

Prenez un seau d’eau. En plastique ou en métal, peu importe. Un seau galvanisé dans le nord de la Ruhr ou moulé dans une fabrique en Roumanie, ça ne fait aucune différence. Tout comme pour l’eau : de l’eau de pluie acide récoltée au cœur de la Forêt Noire ou de l’eau ferrugineuse lithuanienne, prenez celle que vous avez sous la main. L’essentiel est d’avoir un récipient rempli d’eau. Une baignoire ou une cuvette de W.-C. d’ailleurs feront tout aussi bien l’affaire.

À la surface de l’eau, déposez une tranche de pain blanc. Ou gris. Du pain de mie. Une tranche bien large. Posez-la à la surface de l’eau. Regardez le tout. Regardez bien.

C’est la Terre. Il y a quelques millions d’années.

Maintenant déchirez la tranche de pain en plusieurs morceaux, remuez l’eau avec votre main et choisissez un morceau qui flotte, au hasard.

C’est l’Europe.

Un bout de terre qui s’est lentement détaché de la Pangée puis a dérivé pendant des millénaires.

Rien de plus, rien de moins.

Sur le bout de pain, si vous en avez l’envie, vous pouvez imaginer des fourmis, des moineaux, des autoroutes. Des centrales nucléaires, des barbelés et des pigeons qui s’envolent vers les nuages gris. Des fraises et des haricots.

C’est encore l’Europe.

Un bout de terre, un morceau de planète, qui s’évade lentement. Mais la terre est ronde. Et même à toutes jambes, on ne peut pas fuir très loin. Si vous regardez bien, vous verrez peut-être les tas de types qui s’accrochent au bout de pain pour ne pas glisser dans l’eau qu’il y a autour. Et qui tapent sur les doigts du voisin pour qu’il tombe en premier. Regardez bien, levez les yeux, vous ne verrez que ça. Ce n’est pas toujours drôle.

Alors, si vous préférez, vous pouvez vous asseoir au pied du seau et regarder votre croûte de pain à la loupe. Avec un peu de chance, si vous avez de bons yeux, vous apercevrez un train minuscule qui a quitté Lisbonne.

 

 

Il faisait chaud. Très chaud. Les wagons étaient bondés. Je n’avais pas de réservation, alors j’ai déambulé dans les allées à la recherche d’un siège libre. Je me suis finalement assis en face d’un homme d’une cinquantaine d’années qui m’a souri quand je passais. Après deux minutes, il avait ôté ses chaussures et déposé ses pieds sur une valise renforcée. Si j’avais su, je ne me serais pas assis là. Non seulement ce type n’arrêtait pas de se lever pour aller aux toilettes, puis au wagon-restaurant, puis fumer dans le couloir, puis se rasseoir, mais en plus il parlait avec tous les êtres vivants présents dans le train : les voyageurs, les contrôleurs, même la grosse dame qui servait au bar. Et tout le monde semblait le connaître de longue date. Comme si j’étais tombé dans une réunion de famille. Comme le voyage était long (j’avais quitté Lisbonne le matin et je n’arriverais chez mes amis à Madrid qu’en fin d’après-midi), j’ai sorti un bouquin et je me suis mis à lire. Il n’en fallait pas plus à mon voisin d’en face pour lier la conversation. Il était Belge lui aussi. Il avait voyagé partout en Europe, il avait tout vu, il connaissait tout. Il faisait mine de me poser des questions et dès que je commençais à répondre, il en profitait pour continuer sa propre histoire. À un moment donné, il m’a lâché entre deux phrases :

« Ça fait plus de dix ans, maintenant, que je change de pays presque tous les jours.

— Tous les jours ? j’ai demandé.

— Au moins deux fois par semaine. Je n’ai pas le choix.

— Comment ça, vous n’avez pas le choix ? ai-je demandé, vraiment intéressé.

— C’est une longue histoire, a-t-il répondu un peu évasivement, je ne voudrais pas vous embêter.

— Pas du tout, pas du tout. J’ai bien le temps. Après tout, lire un roman ou écouter une histoire… »

Et c’est ainsi qu’il s’est mis à me raconter son histoire.

 

 

C’est difficile, en général, de savoir quand les choses commencent vraiment. Mais, pour moi, j’en suis certain, tout s’est déclenché au cours d’une sombre nuit d’été, quelque part au cœur du continent, dans l’arrière-salle d’un café. J’étais saoul comme toute la Pologne et cela tombait bien puisque j’étais attablé dans une taverne polonaise, à Malbork précisément, au bord d’un fleuve gris, à côté d’un château aussi rouge que la brique pilée d’un terrain de tennis. Un château qui avait été un jour rempli de chevaliers. Des centaines sans doute. Presque autant que de verres de vodkas que j’avais avalés ce soir-là. Je ne sais pas combien exactement, mais il y en avait trop. C’était de la vodka biélorusse, introduite en contrebande, et j’en avais tellement bu que je ne pouvais plus compter. C’est sans doute pour cela que les Allemands assis à la table à côté m’avaient proposé de jouer au poker. Et que j’avais accepté. Il était très tard dans la nuit. La partie avait commencé dans la salle de l’auberge, avec deux bonnes femmes à cheveux courts et un grand type. Ils avaient l’air de s’ennuyer ferme, tous les trois. On n’échangeait pas un mot, pour préserver la concentration, mais je les sentais plutôt stressés. Ils guettaient leurs téléphones portables comme s’ils attendaient un appel important. J’étais obligé de boire tout seul. Une des deux Allemandes me filait des cigarettes américaines. J’aurais dû me méfier. Surtout quand je me suis rendu compte que j’avais perdu tout mon blé, et qu’on m’a proposé de passer à la cave, pour continuer le jeu avec de plus grosses sommes. J’ai joué avec le patron de l’auberge – un grand maigre avec des doigts desséchés et jaunis par les cigarettes sans filtre – et un autre moustachu en costume cravate, un espèce de baron de la maffia, accompagné d’un garde du corps aux dents noires. Le troisième, je le connaissais bien, c’était le patron de la police locale. C’est avec lui que j’avais négocié un contrat de commande pour vingt-sept armoires frigorifiques l’après-midi. Trois étages de neuf cadavres. C’était ça, mon boulot à cette époque-là. Représentant en chambres froides. Spécialiste de la morgue clef sur porte. Dix-sept ans de carrière derrière moi et près de trente semaines par an sur les routes d’Europe.

Il était encore plus tard dans la nuit. Je n’avais plus arrêté de perdre. Je crois que les trois types à table étaient à peine un peu moins saouls que moi, mais à ce stade-là d’imprégnation, chaque millilitre d’alcool pouvait faire la différence. Je suppose qu’ils trichaient. Je n’en suis pas sûr, mais ils auraient eu tort de ne pas le faire. J’étais incapable de déceler quoi que ce soit. Quand on distribuait les cartes, je devais parfois appeler le garçon de salle pour qu’il trie mon jeu à ma place : moi, je me sentais trop fatigué. En tout cas, quand on a rallumé les lampes en fin de nuit et qu’il a fallu régler les comptes, j’ai bien dû avouer, en rigolant un peu, que j’étais parfaitement incapable de payer une telle somme. « À moins de gagner au jeu », que j’ai ajouté, mais ça ne les a pas fait rire. Sans doute qu’ils n’ont pas compris, bourrés comme ils étaient. Le garde du corps tournait nerveusement autour de la table en cognant les chaises avec ses bottines. Il crachait par terre en me regardant avec des gros yeux. Le chef de la police parlementait avec l’aubergiste. J’ai cru qu’ils parlaient de pendaison, mais je ne suis pas certain. Comme je m’allumais une cigarette pour achever mon verre, le maffieux a sorti un flingue et me l’a collé sous le menton. Il était devenu tout mauve, il gueulait en polonais et j’étais soulagé de ne rien comprendre du tout. Par contre, son haleine de vodka me traversait la peau du visage et imbibait jusqu’à ma boîte crânienne. L’aubergiste l’a écarté de moi. Il était plus grand que le garde du corps, plus musclé aussi, et il s’est assis sur une chaise à l’envers, juste en face de moi, les jambes autour du dossier, les bras croisés au-dessus.

« Écoute bien, si tu as envie de sortir d’ici avec la tête en un seul morceau. Tu es chez moi, ici. Lui (il montrait le maffieux), il n’a absolument rien à perdre. Il a éventré ses père et mère quand il avait quinze ans. De rage. Depuis, il s’est calmé et il est devenu professionnel. Il ne tue plus que par intérêt. La seule personne qui pourrait te défendre, c’est Karel, le commissaire, mais tu lui dois tellement d’argent qu’il t’étriperait bien lui-même. Alors, je ne vois qu’une solution : soit tu nous dis comment tu comptes nous rembourser, soit je monte me coucher et je viens chercher ta carcasse demain matin derrière le bâtiment pour la balancer dans la rivière. Est-ce que je suis clair ?

— Oui.

— Alors, qu’est-ce que tu proposes ?

— Je n’ai pas d’argent pour rembourser tout ça. »

Une main – je pense que c’était celle du commissaire – a percuté mon oreille. Il devait y avoir une chevalière sur l’un des doigts parce que ça a brûlé puis du sang s’est mis à couler le long de ma joue. C’était chaud. Je me sentais déjà moins saoul.

« Vous pouvez me cogner. Je ne vois pas d’autre solution. Je n’ai pas d’argent, je vous dis. Si c’est du fric que vous cherchez, vous feriez mieux d’attaquer quelqu’un qui en a. Moi, je joue tout ce que je gagne, et, comme je joue mal, je n’ai plus rien du tout. Si vous voulez les clefs de mon appartement à Tirlemont, je vous les donne. »

Je voyais bien que j’aurais mieux fait de me taire. Tout ce que j’ajoutais ne faisait que les énerver davantage. Le garde du corps s’était mis à casser des noix entre ses doigts. Ça faisait un bruit affreux, comme celui d’un os qui se brise. Et son regard ne se détachait pas de moi. Les trois autres se sont mis à parlementer en polonais.

Ils se sont éloignés, puis ils sont sortis de la pièce. Le garde du corps s’est approché de moi, il a posé sa lourde main sur le sommet de ma tête puis il a mordillé mon oreille. J’ai senti un frisson me traverser le dos et les jambes. Puis il a claqué des dents sur mon lobe et j’ai hurlé de mal. Il s’est allumé une cigarette et s’est assis sur la chaise du patron. Si on m’abandonnait vingt minutes de plus avec ce sauvage, j’allais y laisser ma peau.

Et pourtant le temps a passé très lentement. Cigarette sur cigarette. Le regard du grand singe ne me lâchait pas. Il y avait une lueur humide au fond de ses yeux, comme s’il cachait un caveau sombre derrière ses prunelles. Ce type me voyait déjà en cadavre. De temps à autres, il faisait craquer ses articulations, puis écrasait une noix.

Quand les trois autres sont revenus, je me suis senti soulagé. Comme si on retirait une enclume de mes épaules.

« C’est fini. On a vérifié. Ton appartement ne t’appartient même pas : tu le loues. Tu nous fais pitié. C’est pour ça qu’on va te donner la tête. »

Il a dit ça comme si je devais comprendre ce dont il parlait. Ils se sont regardés tous les trois, droit dans les yeux, puis ils ont tourné leurs visages vers moi. Trois sourires mielleux qui sentaient la pourriture. Je n’aimais pas ça du tout. Oh non, pas du tout.

La femme de l’aubergiste est arrivée. Elle portait ma valise à la main gauche et un étrange objet sous le bras droit. Le policier m’a servi un verre de vodka mais je n’avais plus aucune envie de boire. La vieille a posé ma valise sur la table, puis à côté, un gros bocal rempli de liquide jaunâtre.

« C’est pour vous, qu’elle m’a dit. Faut que vous la rameniez à Bruxelles. Comme vous voyagez beaucoup, ça devrait être facile. »

J’ai approché mon nez du bocal mais le liquide était tout trouble et le verre très sale. Au-dessus, un couvercle était soigneusement scellé avec du plomb et de la cire.

« Ne vous inquiétez pas, a dit le policier, c’est bien fermé : rien ne peut sortir.

— L’essentiel, a ajouté l’aubergiste, c’est qu’on ne vous revoie jamais.

— Et pour l’argent ? j’ai demandé.

— C’est bon comme ça. Vous prenez le vase et vous disparaissez. Dépêchez-vous avant que je ne change d’avis. »

Ils m’ont poussé vers l’escalier de la cave. Ils souriaient toujours. Ils m’ont laissé partir dans la nuit froide, la valise et le bocal sous le bras. J’ai encore entendu la vieille gueuler :

« L’adresse est en dessous : bon voyage ! »

 

 

Et voilà.

J’ai serré le pot dans mes bras et j’ai couru pour me réchauffer. C’est seulement quelques minutes plus tard que je me suis rendu compte que je n’avais plus d’endroit où loger. Il était sans doute cinq ou six heures du matin. Je devais reprendre un train pour Varsovie deux jours plus tard et je n’allais pas attendre tout ce temps-là dans un fossé sous le château. Je me suis mis à marcher.

Avec la vodka, on finit par s’endormir n’importe où. C’est ainsi que je me suis réveillé le lendemain matin, couché sur un banc, en gare de Malbork, les bras serrés autour d’un pot de verre. Le soleil s’était levé. Il faisait beau et froid. Bleu dans le ciel, blanc autour des herbes figées par le gel. C’est le passage d’une locomotive à vapeur qui m’avait réveillé. Sur le bout de mon banc, deux militaires polonais discutaient à voix basse. J’aurais bien voulu être à leur place. Rasés de frais, chaudement habillés, ils fumaient des cigarettes américaines. Je me suis senti plus sale qu’un cendrier plein. J’ai frotté mes yeux, j’ai bâillé un grand coup et je suis allé me laver dans les toilettes de la gare. J’ai pris un café au buffet et j’ai regardé mon pot. Il n’y avait pas que du liquide dedans, il y avait surtout une masse blanche en suspension dans la solution jaunâtre : un gros cerveau flottant. Par moment on aurait dit que c’était rose, par moment cela semblait gris ou bleuté. On aurait dit une cervelle de mouton en beaucoup plus gros. Qu’est-ce que j’allais bien faire avec un accessoire pareil ? Si j’avais eu une bagnole, j’aurais fourré le bocal dans le coffre et je ne me serais pas posé de question. Mais quand on est tous les jours sur la route, en train et en avion, on réfléchit à deux fois avant d’emporter des objets encombrants. Le couvercle était soigneusement fermé, avec un joint en mauvais état. C’était un pot en verre lourd. Il devait dater du début du siècle, à en juger par les imperfections et les petites bulles d’air qu’on apercevait dans l’épaisseur du verre. J’ai inspecté le bocal sous toutes ses coutures et j’ai trouvé, sous le cul du pot, là où la vieille m’avait dit de regarder, une simple étiquette rédigée à la main, d’une belle écriture cursive qui datait certainement elle aussi d’avant la première guerre : « Georges Nagelmackers – Bruxelles ». Si c’était une adresse postale, alors moi j’étais Polonais. Qu’est-ce que j’allais faire de ce pot, moi, si je ne savais même pas à qui je devais le rendre ? Je n’allais tout de même pas feuilleter le bottin de téléphone de Bruxelles et demander tous les abonnés répondant au doux nom de Nagelmackers s’ils n’avaient pas perdu leur cerveau récemment !

Nagelmackers ? Nagelmackers ? Ce nom me semblait familier, comme celui d’un condisciple d’école primaire ou d’un homme politique mille fois aperçu sur les affiches électorales. Nagelmackers ? Aujourd’hui je me demande comment j’ai pu me poser la question. C’était la banque, bien sûr. La banque Nagelmackers dont les enseignes vert et jaune se rencontraient à travers tout le royaume de Belgique. Peu de chance que ce cerveau ramassé en Pologne ait le moindre rapport avec la banque, me semblait-il. Mais si un banquier offrait une récompense pour récupérer le cortex et les machins gluants qui s’agglutinent autour, je n’allais pas dire non.

Je crois que j’en étais là dans mes réflexions, à me demander pourquoi ces Polonais m’avaient filé un cerveau plutôt que me passer à tabac, à imaginer ce que j’allais faire aussi, le reste de la journée, si j’allais retourner à Varsovie et balancer le bocal par la fenêtre du train quelque part le long des rails. J’en étais là, je crois, à compter mes zlotys pour un deuxième café quand la porte du buffet s’est ouverte d’un coup sec.

Ils sont entrés à grandes enjambées. Ils n’ont regardé ni à gauche ni à droite, ils ont foncé direct au bar, droit vers mon tabouret. Il y avait un grand type avec des hautes bottes en cuir, c’est lui qui marchait le premier. Puis deux femmes avec des cheveux courts et des téléphones portables. Les trois Allemands de l’auberge ! Et, derrière, des jumeaux avec une caméra de télévision et un micro sur perche. En une seconde, j’étais ceinturé. La caméra tournait, les deux assistantes téléphonaient et le chef, grattant ses bottes de cuir, m’expliquait tout en détail. Et en allemand. Et sans respirer. Et sans me laisser le temps de lui dire que je ne comprenais rien. Si je devais recommencer mon existence, je crois que j’apprendrais les langues étrangères. Ils ne me voulaient pas de mal, apparemment. Ils ne voulaient pas me faire la peau tout de suite, en tout cas.

Pendant qu’il continuait de parler, l’une des assistantes mesurait le bocal et dictait des chiffres au téléphone. L’autre faisait des signes à l’équipe de télévision. Le chef continuait à m’expliquer des tas de choses que je ne comprenais toujours pas et l’une des assistantes a pris des photos de lui en train de m’expliquer, de moi perdu à force de ne rien comprendre, des jumeaux occupés à filmer la machine à café et les étagères où s’alignaient les verres à bière. On m’a mis le bocal dans les bras, on m’a demandé de sourire. J’ai fait tout ça et j’ai commandé un autre café. Comme l’une des deux assistantes a payé, j’en ai commandé un autre, puis une vodka. Quand j’ai eu fini mon verre, les jumeaux étaient debout sur le comptoir et filmaient en gros plan un téléphone portable. Le chef parlait toujours sans s’arrêter. Je crois qu’il recommençait la même explication en anglais. Les assistantes acquiesçaient de la tête. Alors, comme ils avaient l’air tous très contents d’être eux-mêmes et de faire ce qu’ils faisaient, je me suis discrètement dirigé vers les toilettes.

Et comme les toilettes sont situées sur le quai, j’en ai profité pour m’éloigner un peu. Quelques mètres d’abord, discrètement. J’ai tourné la tête et personne ne me suivait. Alors j’ai allongé le pas, j’ai quitté le quai. Toujours personne pour me courir après. Du coup, j’ai continué tout droit dans la rue, sans me retourner, sans m’arrêter, j’allongeais le pas, j’ai atteint le trottoir en face de la gare, je crois que je courais à ce moment-là, tout droit devant, et j’ai continué à courir comme ça jusqu’à ce que je sois à l’abri, pensais-je, au bord de la rivière, sous les remparts du château. Je me suis assis, planqué derrière un buisson, et j’ai écouté le sang battre contre mes tempes. J’ai attendu longtemps et personne n’est venu me chercher. Je croyais que je m’étais tiré d’affaire, mais je ne faisais que m’enfoncer dans la vase.

 

 

« Je vous ennuie, hein, n’ayez pas peur de me le dire.

— Non, non, pas du tout. Au contraire.

— Mon histoire ne vous intéresse certainement pas.

— Mais si, je vous en prie, continuez. »

 

 

Il a bien fallu que je sorte de ma cachette. Je n’avais rien à manger, il faisait humide, j’avais froid. J’ai d’abord trouvé refuge dans une église, mais il faisait tout aussi froid alors je me suis promené le long de l’eau, là où j’étais le mieux exposé au soleil. J’avais faim. Horriblement faim. J’aurais donné n’importe quoi pour bouffer un bout et me réchauffer. Alors, quand j’ai aperçu un grand hangar près de la rivière, avec une réception et des centaines d’invités, je n’ai pas hésité longtemps. Je me suis faufilé entre les grosses voitures garées dans l’herbe, j’ai frotté ma veste pour ne pas avoir l’air trop sale et je me suis avancé d’un pas ferme.

Les deux hôtesses d’accueil m’ont souri. Elles semblaient heureuses de me voir. On aurait pu croire qu’elles n’attendaient que moi.

Il y avait des gens en cravate, en smoking, des femmes en robe longue. On devait célébrer un événement* important. On voyait des photographes, des équipes de télévision, des serveurs avec des plateaux et de longues tables où l’on pouvait s’asseoir. De la musique insipide était susurrée par des diffuseurs de mauvaise qualité.

Mais le plus étonnant, c’était le décor qui entourait tout cela. Je suis resté la bouche ouverte pendant plusieurs minutes.

En-dessous du plafond, qui devait se trouver à quinze mètres du sol, s’étendait un immense décor. Un plateau de cinéma, peut-être, ou une exposition à grand spectacle. À la droite, j’apercevais la tour de Pise, juste à côté de la sirène de Copenhague. Un peu plus loin, le Kremlin avec le mausolée de Lénine, puis le Colisée. À gauche, c’était le pont Charles, la colonne de Trafalgar et deux autobus à impériale. Je cherchais des yeux l’Atomium quand le type m’a saisi par le bras.

C’était le grand Allemand. J’ai senti mes jambes flageoler. Je me demande encore comment ils avaient fait pour me retrouver. Mais aucun doute n’était possible : l’équipe était au complet. L’une des deux bonnes femmes téléphonait, l’autre, qui portait ma valise, donnait des ordres aux jumeaux télévisés. Le grand Allemand a susurré à mon oreille :

« La traducteur en française va arriver. »

Je suppose qu’il m’annonçait l’arrivée d’une interprète.

« Vous pouvoir faire ce que veux. Vous libre », a-t-il ajouté.

Je l’ai remercié. Enfin non, je ne l’ai pas remercié du tout, en fait. Je lui ai à peine adressé un regard et j’ai arraché mes bagages de la main de la Teutonne. Je n’avais plus faim, je n’avais plus froid. Je voulais foutre le camp tout de suite.

« Nein, non ! ont-ils crié en chœur, pas partir !

— Bien, bien, je ne m’en vais pas. Je cherchais juste ma trousse de toilette. »

Et j’ai agité le poignet devant ma bouche, comme si je me brossais les dents. L’une des deux assistantes m’a accompagné jusqu’à l’entrée des toilettes et je m’y suis précipité. J’ai fermé la porte à clef. J’ai respiré une grande bouffée d’air pas frais et je me suis mis à penser à toute vitesse. Si l’on m’avait retrouvé ici, si l’on m’avait retrouvé à la gare, si l’on avait transporté mes bagages, il devait y avoir une raison à tout cela. Je ne la connaissais pas. Et je n’avais aucune envie de la connaître. Je comprenais à demi-mot que le bocal plein de cervelle devait y être pour quelque chose et que l’aubergiste savait dans quel guêpier il me fourrait lorsqu’il m’avait refilé ce cadeau empoisonné.

Tout ce que je voulais, désormais, c’était m’enfuir au plus vite. Partir loin d’ici, loin de cette équipe de cinglés, loin de leurs téléphones portables et de leur caméra.

Comment allais-je me sortir de là ? pensais-je en me brossant les dents. Quitte à m’enfermer dans un cabinet de toilette, autant en profiter pour maintenir un certain degré d’hygiène. Je m’aspergeai de déodorant et j’ouvris la porte. L’assistante avait rejoint le grand Allemand de l’autre côté de la salle et ils me tournaient le dos. Personne n’était plus là pour me retenir. J’ai tourné la tête à toute vitesse et j’ai aperçu une porte de service, de l’autre côté de la salle. À quelques pas de moi, une fanfare faisait son entrée sous la Porte de Brandebourg. Costumes rouges à épaulettes, grosses caisses et cuivres en tête, balalaïkas et danseuses folkloriques en queue. J’ai profité du remue-ménage et de l’enthousiasme que cette arrivée provoquait pour m’éclipser sans demander mon reste. Le soleil était planté dans le ciel comme les pièces d’un euro dans les publicités à la télé. Des dizaines de voitures étaient garées dans l’herbe devant moi. Je n’avais qu’à choisir. J’ai couru de l’une à l’autre pour voir si un conducteur distrait n’avait pas oublié de refermer son véhicule à clef. En vain. Il n’y avait rien que je puisse utiliser pour ma fuite. Pire, dans la plupart des bagnoles, il y avait un chauffeur assoupi ou lisant son journal. Je n’allais tout de même pas m’enfuir à pied pour me faire repiquer par un taxi deux cents mètres plus loin ! Non merci, j’avais déjà donné. Heureusement, j’ai repéré un camion-frigorifique rangé le long du bâtiment. Le moteur tournait encore. Sans doute était-on occupé à décharger de la marchandise. Je n’ai pas pris le temps de vérifier : j’ai sauté dans la cabine, j’ai desserré le frein à main et je me suis envolé. J’ai pris la seule route qui quittait le hangar et j’ai roulé tout droit sans m’arrêter. Ce n’est que lorsque j’ai fait étape à la pompe à essence que j’ai pensé à fermer les portes arrière. J’en ai profité pour jeter un œil dans le camion. Et je suis tombé nez à nez avec les jumeaux et leur caméra. Ils ont eu l’occasion de filmer ma tête en gros plan avec des yeux plus larges que des soucoupes. Qu’est-ce qu’ils foutaient dans ce camion ?

Un des deux a saisi son téléphone portable. Sans doute voulait-il annoncer aux trois autres que je m’étais échappé. J’ai attrapé le téléphone et je l’ai balancé au milieu de la route, là où passaient les voitures vrombissantes. Le cameraman a sauté du camion pour tenter de récupérer son cellulaire et son jumeau avec le micro a bien dû le suivre parce qu’ils étaient reliés par un câble. J’en ai profité pour remonter dans la cabine et m’éloigner plein pot. J’ai tourné à tous les carrefours pour être certain que personne ne puisse me suivre et j’ai fini par me choisir une destination où l’on ne viendrait jamais me chercher : Kaliningrad. La ville des morts-vivants. Kaliningrad, petit bout de Russie au bord de la mer Baltique, où l’on enterre les philosophes et bombarde tout ce qui dépasse du sol. Au cours du voyage, j’ai cru apercevoir plus d’une fois une voiture allemande dans mon rétroviseur. Mais ce n’était qu’une illusion. Mon esprit commençait à s’épuiser. Il était temps que je m’arrête, que je me calme, que je dorme et que je me lave.

Quand j’ai eu vraiment faim, je me suis rangé sur le bord de la route et j’ai regardé ce qu’il y avait à l’arrière. Certainement de quoi manger.

Je ne me trompais pas. Il devait y avoir deux cents kilos de zakouski de toutes les sortes. Un assortiment pour ogre. J’aurais pu avaler le repas le plus gargantuesque de ma courte existence. Si j’avais eu un four. Parce que tout était surgelé, bien entendu. Et fondu, après deux heures de route portes ouvertes ! J’ai quand-même déposé une trentaine de mini-pizzas sur le capot du camion pour les réchauffer. Je me suis mis à marcher en long et en large en attendant que ça devienne mangeable.

Évidemment, après deux minutes à peine, un conducteur s’est arrêté pour me proposer de l’aide. Il s’imaginait que j’étais tombé en panne. J’ai expliqué avec des signes que tout allait bien et que je voulais seulement manger en paix. Le type m’a souri. Il était gros. Vraiment très gros. Comme un Américain. Avec une tête de bébé sur un corps gigantesque. Il n’arrêtait pas de me regarder droit dans les yeux. Ça me dérangeait un peu. Ça m’aurait même fait peur s’il n’avait eu une bouille si souriante. Il m’a proposé une cigarette. Je l’ai acceptée. Il me l’a allumée puis il a foncé vers sa voiture pour en revenir avec le journal. C’était tout écrit en russe, je n’ai rien pu comprendre, mais il m’a montré une liste de noms et de prénoms avec des photos à côté : il y avait ma tête dans la liste. Je lui ai demandé ce que c’était, ce que ça voulait dire. J’ai essayé de comprendre ce qu’il était écrit. Mais je déchiffre aussi peu l’alphabet cyrillique que je ne comprends le russe. Ce qui m’a vraiment foutu la trouille c’est qu’au-dessus de la liste il y avait un dessin de cerveau et le chiffre 2000. Youri, puisque ce gentil Russe s’appelait Youri, avait l’air très heureux de me rencontrer – au moins ma tête n’était pas celle d’un criminel – et il tentait de m’expliquer un tas de choses qui l’intéressaient beaucoup. Mais je n’y comprenais pas un traître mot.

Il a insisté pour que je vienne manger chez lui. Je ne sais même pas quels mots il a employés pour ça, mais j’ai fini par le comprendre. Il voulait me montrer à sa mère, à sa femme, à ses enfants. Ça avait vraiment l’air de lui faire plaisir et je n’avais rien de mieux à faire. Je n’ai pas refusé.

Il ne m’avait pas prévenu qu’il faudrait aussi boire avec toutes ces personnes et manger des fraises du jardin. Elles étaient délicieuses, et les cornichons aussi. Et le poulet. Et les pommes de terre et la salade. Et la crème aigre. Et les toasts pleins de petites boules orange. Et les petits pains à la viande. Pas l’eau gazeuse, non, elle, elle était trop salée. Comme je n’avais rien apporté, je leur ai offert deux caisses de deux cents mini-quiches lorraines. Ils avaient l’air ravis. Et on a trinqué à l’amitié entre les peuples. À la fin du repas, j’avais tellement bu que Youri m’a un peu forcé à dormir chez lui. Il voulait me conduire le lendemain à Kaliningrad, me montrer la tombe de Kant et le mémorial aux soldats occidentaux. Je n’ai pas pu dire non. J’ai protesté en disant niet ! niet ! mais ils n’avaient pas envie de comprendre. Alors je me suis endormi sur le canapé, une couverture épaisse posée sur les jambes.

Je ne crois pas avoir rêvé. Je devais être trop tendu pour ça. Je sais juste que quand je me suis réveillé, ils étaient de nouveau là : le grand Allemand et ses assistantes, l’équipe de télévision.

« Bienvenue à Kaliningrad », m’a lancé l’une des deux assistantes.

Si j’avais su qu’elle parlait français, je lui aurais expliqué ma façon de penser depuis longtemps.

« Voici argent pour la semaine, a-t-elle ajouté en me tendant une enveloppe remplie de dollars. Vous pouvoir à la banque échanger. »

Avec l’enveloppe, il y avait une brochure photocopiée, reliée à la colle. Sur la couverture, il était indiqué : « Le testament de Georges Nagelmackers. Pour une nouvelle Europe ». J’ai regardé les trois Allemands avec un air interloqué. Je ne comprenais décidément rien. Je devais avoir l’air particulièrement ahuri, parce que la caméra s’est alors approchée de mon visage tandis que le micro collait à mes lèvres pour capter le moindre souffle de respiration.

« Vous pouvoir lire », a conclu l’assistante.

J’ai demandé où étaient les toilettes et j’ai emporté la brochure. J’en ai appris des choses, en quelques minutes ! Notamment que le Nagelmackers en question était bien Belge, qu’il croulait sous l’argent et qu’il n’avait rien trouvé de mieux à faire avec sa fortune que de continuer à voyager, même après sa mort. Mais comme les lois de la plupart des pays interdisent de transporter des cadavres et de leur faire passer des frontières, le Georges, qui ne manquait décidément pas d’astuce, avait choisi de faire voyager son cerveau seul, dans un bocal. Ce qui est toléré pour raison médicale, à travers tout le continent. Ce qui arrangeait parfaitement le milliardaire puisqu’il avait décidé de parcourir l’Europe de long en large jusqu’à ce que sa fortune s’épuise.

Le principe du voyage était simple : celui qui prendrait en charge le bocal pourrait voyager sans souci. Une équipe d’intendants, de guides et de chauffeurs serait constamment mise à sa disposition. À la condition expresse de ne jamais séjourner plus de trois nuits dans une même ville et de ne jamais quitter le continent.

Là, je dois bien avouer que j’ai relu plusieurs fois les pages. Il était clairement indiqué que le cerveau devait voyager sans contrainte et que le porteur avait toute liberté, tant qu’il ne séjournait pas plus de trois jours en un même lieu. J’avais envie de me pincer. J’avais reçu le bocal et j’avais tout fait pour m’en débarrasser. J’avais tenté d’échapper à l’équipe dont la mission était de m’aider à tout prix ! Je comprenais mieux leur acharnement, maintenant.

Je suis sorti des toilettes, le pantalon sur les pieds.

« Où est le bocal ? » ai-je demandé à chaque personne que je croisais. 

Je regardais à gauche, à droite, dans les armoires, sous le lit, je ne le voyais pas.

« Il est ici », me dit encore l’assistante.

Et elle montrait un coffret en bois renforcé aux coins par des protections métalliques. Le même coffret que j’ai là sous les pieds.

J’ai soulevé le couvercle de la boîte : le bocal était bien là, le cerveau aussi, intact, identique à celui que j’avais gagné dans cette étrange soirée au cœur de la Pologne.

Et c’est toujours ce cerveau qui m’accompagne aujourd’hui, au cours de mon voyage.

 

 

« Et les assistants ? ai-je demandé. L’équipe d’Allemands ?

— Ils sont toujours là aussi, fidèles au poste. Ils sont normalement dans le premier wagon. Ils ont un peu vieilli, bien sûr, et ils ont beaucoup plus de travail.

— Comment cela ?

— C’est que je ne suis pas le seul à avoir rencontré le cerveau de Nagelmackers. Les choses se sont un peu compliquées. Depuis trois ans, on a recensé pas moins de 107 bocaux répandus à travers le continent.

— Ce sont certainement des faux, ai-je rétorqué.

— Sans doute. Mais chacun d’eux contient un cerveau, chacun d’eux une étiquette. Impossible de savoir lequel est le vrai. Dans le doute, la famille Nagelmackers a décidé de soutenir financièrement chacun des bocaux. Alors, pour simplifier les choses, ce sont eux qui organisent nos voyages désormais. Levez les yeux, regardez autour de vous. Si vous y faites bien attention, vous apercevrez facilement les valises renforcées. »

C’est alors que je me suis rendu compte que tous les voyageurs du train, jeunes et vieux, endormis ou éveillés, transportaient un bagage à main qui pouvait contenir un bocal. Rien ne prouvait qu’il y avait bien des cerveaux, là à l’intérieur, mais c’était tout à fait possible. Il y avait un gros type avec des lunettes de soleil et presque pas de cheveux : il avait un sac de sport avec un badge Kiss. Ça pouvait contenir un bocal. Le grand maigre qui fumait des cigarettes roulées : dans son sachet plastique de Hanovre, il pouvait y avoir un cerveau. Et cette rousse, que transportait-elle dans son beauty case ? Était-ce vraiment un appareil-photo que dissimulait la housse de ce petit barbu à lunettes ?

« Nous sommes moins libres qu’avant. Cela fait maintenant douze ans que je voyage à l’œil. Je connais le continent par cœur, mais la compagnie des voyageurs m’amuse. Et puis, j’aime faire la conversation. »

Il a continué comme ça, pendant de longues heures. Il m’a expliqué que Nagelmackers, en plus de la banque, avait lancé sa propre compagnie de trains, que le chemin de fer était, du coup, devenu le moyen de transport le plus courant des porteurs de cerveaux. Il m’a parlé des villes qu’il avait visitées, des hôtels, des gens qu’il avait rencontrés. Il m’a aussi dit qu’il était occupé à préparer un livre pour raconter tout ça.

Et sur cette phrase, il s’est endormi comme un bienheureux. Je n’étais pas fâché qu’il se taise un peu. Mon esprit était secoué par toute cette histoire et j’avais assez écouté pour la journée. J’avais envie de calme. Heureusement, nous arrivions à Madrid. Au moment de récupérer mes bagages, l’homme a encore saisi ma main.

« Si vous voulez nous rejoindre, m’a-t-il dit à voix basse, je peux vous faire fabriquer un bocal. Voici mon numéro de téléphone portable. N’hésitez pas à m’appeler. Je serais heureux de vous savoir du voyage. »

Et il m’a glissé entre les doigts une carte de visite imprimée dans une gare. Sur le quai, j’ai assisté à un bien étrange spectacle. Les voyageurs sont descendus un à un et la plupart d’entre eux se sont alignés sur le quai comme des élèves d’école primaire. Il y en avait de jeunes, souriants, et de vieux, recrus de fatigue. Sales pour la plupart, mal rasés. Un grand type portant des bottes en cuir les a passés en revue. Il s’arrêtait devant chaque personne. Le voyageur dévoilait alors son bocal, ouvrant son sac ou sa valise blindée. Je n’avais jamais vu autant de cerveaux flottant d’un seul coup. Puis ils s’en sont allés en rang par deux, derrière deux assistantes qui téléphonaient en marchant. Sans doute se dirigeaient-ils vers un nouvel hôtel ?

J’ai quitté le quai pour retrouver mes amis madrilènes. Nous avions rendez-vous dans la serre tropicale de la gare d’Atocha, au café panoramique. J’ai marché dans la chaleur moite, remuant entre mes deux oreilles des images de train et de voyageurs forcés. Et d’un vieux fou qui utilisait sa fortune pour réaliser ses caprices.

À la première poubelle que j’ai croisée, j’ai jeté la carte de visite. À côté de la poubelle, il y avait un seau d’eau sale avec une grosse tranche de pain blanc qui flottait à la surface.

Et dire qu’il y a des gens qui meurent de faim, j’ai pensé. Et j’ai continué mon chemin.

 

Nicolas ANCION (Madrid, octobre 2000)

Texte rédigé à la suite du projet Train Littérature Europe 2000

© Diffusion sur  « Cours toujours » autorisée expressément par l’auteur (mars 2010)

Site de Nicolas Ancion

 

N.B. : Lauteur a répété lexpérience en mars 2010 à la Foire du livre de Bruxelles.