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Les aléas d’un déjeuner
inattendu

LE COMMISSAIRE LOURDEL SORT DU DÉJEUNER AVEC JULIA CHESNEL - IL EST TOUT ÉTONNÉ - FASCINÉ, IL OSCILLE ENTRE LEXPRESSION FRANÇAISE ET SON ENQUÊTE.

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Madame de Sévigné… Notre conversation pourrait passer pour précieuse. Mais c’est plus fort que moi, j’aime le charme des mots, cette légèreté – comment dire ? – policée ! C’est ça, il faudra que je le répète à mon équipe : la police doit être policée. C’est peut-être le secret de ma vocation !

Je me réjouis déjà à l’idée de ces ateliers d’écriture. Bien sûr, Paule-Andrée Grenelle, ce n’est pas Léopoldine ni Lou Salomé. Là aussi, quel curieux hasard… Julia Chesnel voulait savoir qui menait l’enquête sur le meurtre pour mettre en contact avec lui un chercheur. Elle m’a fait une excellente remarque. Je m’en souviens exactement :

— Vous savez, René, ce sont trois catégories de personnes qui font le même métier mais différemment : le chercheur enquête et traque les microbes ou les agents infectieux, le journaliste fait des investigations et vous, commissaire de la police judiciaire, que faites-vous d’autre ? Dans ces trois cas, le langage est essentiel. C’est pour cela que j’ai créé mon institut : le chercheur ne parvient pas à se faire comprendre ; le journaliste doit écrire tout le temps et vous, les commissaires, vous utilisez le langage dans vos rapports et vos interrogatoires – nous allons le montrer, que dis-je ?, le démontrer ensemble, dans nos ateliers d’écriture, que la correction de la langue est votre meilleur atout ! Je devrais ajouter une aile à mon papillon et créer un département « Enquête en bon français » ! Vous me donnez une idée. Que peut-on chercher si on le cherche avec une syntaxe et des mots qui faussent le sens et les pistes ? Que peut-on faire savoir si on ne sait utiliser qu’un langage scientifique anxiogène et abstrus ? Vous savez, René, les prions, les criminels et les mauvais journalistes vont vouloir détruire mon Institut de la qualité de l’expression, leur pire ennemi !

Elle a vraiment raison sur un point essentiel : nous ne devons pas nous laisser contaminer par la médiocrité et la vulgarité.

(…)

Alain ETCHEGOYEN, Meurtre à la virgule près,

éd. l’Archipel, Paris, février 2007, page 74