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Tibère, c’est le copain de ma sœur. Il fait Normale sup comme elle, mais en maths. Quand je pense qu’on appelle ça l’élite… La seule différence que je vois entre Colombe, Tibère, leurs copains et une bande de jeunes « du peuple », c’est que ma sœur et ses potes sont plus bêtes. ça boit, ça fume, ça parle comme dans les cités et ça s’échange des paroles du type : « Hollande a flingué Fabius avec son référendum, vous avez vu ça, un vrai killer, le keum » (véridique) ou bien : « Tous les DR (les directeurs de recherche) qui sont nommés depuis deux ans sont des fachos de base, la droite verrouille, faut pas merder avec son directeur de thèse » (tout frais d’hier). Un niveau en dessous, on a droit à : « En fait, la blonde que J.‑B. mate, c’est une angliciste, une blonde, quoi » (idem) et un niveau au-dessus : « La conf. de Marian, c’était de la balle quand il a dit que l’existence n’est pas l’attribut premier de Dieu » (idem, juste après la clôture du dossier blonde angliciste). Que voulez-vous que j’en pense ? Le pompon, le voilà (au mot près) : « C’est pas parce qu’on est athée qu’on n’est pas capable de voir la puissance de l’ontologie métaphysique. Ouais, ce qui compte, c’est la puissance conceptuelle, pas la vérité. Et Marian, ce sale curé, il assure, le bougre, hein, ça calme. »
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Je me suis mis les boules Quies en mousse jaune de maman et j’ai lu des hokkus dans l’Anthologie de la poésie japonaise classique de papa, pour ne pas entendre leur conversation de dégénérés.
Muriel BARBERY, L’élégance du hérisson,
éd. Gallimard, 2006, pages 117-118
(Prix des Libraires 2007)