Tôt ou tard

La deuxième heure de mon mardi est consacrée au contrôle des journaux de classe et aux autres missions du titulaire : je ne donne pas cours. Aussi ai-je la possibilité et l’habitude de me présenter devant « mon » local quelques minutes avant la troisième heure.

Cette fois encore, la sonnerie retentit : les salles se dépeuplent, le couloir s’emplit ; on va, on vient, on revient parfois ; quelques classes se regroupent bientôt et gagnent leur local ; les autres se résignent, le pas lourd. Je me retrouve seul : aucun élève en vue. Je me dirige vers le secrétariat et me voici l’unique témoin du spectacle : une canette de limonade à la main, le sac traîné* par une bretelle ou poussé du pied, les cheveux ébouriffés, les vêtements chiffonnés, les joues des uns en feu, la face des autres livide, le regard fixe, ils errent hagards et pantelants.

Je suis plus heureux de les retrouver qu’eux de me voir :

— Ah ! vous voilà !

— On a eu un stagiaire au sport. Il nous a éreintés !

Je récupère ce qui peut l’être, me félicitant que, pour une fois, le sport ne sera pas en classe.

 

 

— Monsieur, au lieu de nous parler de Christophe Colomb, parlez-nous plutôt des Aztèques !

C’est vrai : la civilisation précolombienne a son importance, j’en découvre les circonvolutions, géographiques et chronologiques. Une collègue plus avertie me montre sa documentation : nous oublions l’heure.

Il sonne. Je dois écourter notre entretien, mais il me faut remercier tout en rangeant les fascicules qui me sont prêtés. Bref, j’arrive devant mon local DEUX minutes après le coup de gong. Je ne vois pas mes élèves, mais je vois tous les autres : pas un seul des étudiants de la galerie ne manque le spectacle ! On me jette un regard torve :

« Il est en retard, nous sommes plus de cent à l’avoir constaté ! », me donne-t-on à comprendre.

Avec la résignation toute germanique d’Henri IV, je me rends à la salle d’étude : mes élèves ont dû se retrancher dans cette étrange forteresse toscane.

Je suis moins heureux de les y retrouver qu’ils ne prennent plaisir à me dévisager :

— Ah ! monsieur, nous sommes arrivés devant le local, on ne vous a pas vu, on s’est demandé où vous étiez pendant tout ce temps, on a dit au secrétariat que vous étiez en retard…

Je récupère ce qu’il me reste de patience, craignant qu’une fois de plus le sport sera en classe.

M. BACKELJAU

 En Fédération Wallonie-Bruxelles, le Cahier de texte(s) se dit généralement Journal de classe.
 Dans l’acception de « responsable du suivi des élèves de sa classe », les professeurs belges disent titulaire quand leur administration a choisi le libellé de directeur de classe et que les Français parlent de professeur principal.
 Qu’on se rassure : il n’entre pas dans mes intentions de faire élire un antipape ni de me faire couronner empereur par lui ; que Canossa reste en Toscane et la salle d’étude à sa fonction.