Aujourd’hui, S. passe de table en table pour distribuer à ses condisciples les interrogations corrigées. La routine, remarquera le lecteur. Cet après-midi, S. a décidé de marcher sur les pupitres. Cette jeune puce évite agilement les obstacles que lui tendent ses camarades : règles dans les jambes, crayons sous la semelle, projectiles dans les yeux…
Le professeur a-t-il le droit d’intervenir ? Puis-je interrompre une initiative, semer le désarroi par des remarques acerbes, saper un esprit constructif en plein envol ? Les copies ne sont-elles pas remises à leur destinataire et l’objectif n’est-il pas celui-là ?
— Tant que tu y es, tu ne peux pas marcher au plafond ? m’exclamé-je* étourdiment.
— Je peux, Monsieur ? lance-t-il avec un enthousiasme non dissimulé.
— Si tu en es capable, je t’y autorise, lui rétorqué-je*. « Qui peut peut ! » conclus-je, enivré par le paradoxe des mots.
Je n’eusse jamais dû lui répondre ainsi. Usque non adveniat ? Jusqu’où n’irait-il pas ? Ce qui devait arriver arriva. Simplement, souplement, sans manières, S. évolue maintenant, à pas feutrés, sur la surface du plafond. Il s’applique à remettre chaque copie à son auteur, très consciencieusement. Il dit : « Voici… Je t’en prie ».
À ce moment précis entre le surveillant, les bulletins à la main. Il toussote pour attirer l’attention de tous. Il attend que tous les yeux se fixent sur son regard. Il transmet solennellement les précieux documents à l’élève jouant le rôle du facteur, et il opère un demi-tour sur lui-même. Ses semelles de crêpe souple adhèrent bien au plafond, l’étendue de plâtre lisse lui assure une démarche aisée, à la fois altière et sportive : une sortie digne, irréprochable, exemplaire, ponctuée par la lente chute de quelques écailles de peinture meurtrie.
Mes yeux se voilent. Mes sens me trahissent.
Alors, je frappe le sol des pieds pour m’assurer que je les ai encore bien sur terre, et voici que j’effleure la surface laiteuse d’un plafond de blancs nuages.
— Monsieur, ça ne va pas ? Le surveillant vient de passer et vous ne l’avez même pas salué !
— Veuillez m’excuser, la journée a été longue…
M. BACKELJAU