Aujourd’hui Br. est bien disposé.
L’avons-nous entendu adresser à quelque condisciple menaces, injures ou invectives ? L’avons-nous vu sillonner la classe, règle au poing, éventrant, éborgnant ou scalpant les insoumis, dont le salut tient à leur prestesse ou à leur malignité ? Que du contraire ! Docilement, dès que tous ont pris la plume et qu’ils s’ingénient à résoudre un problème auquel ils s’intéressent soudain pour en avoir éloigné un qui s’intéressait trop à eux, docilement, Br. s’est également mis au travail.
Il est content de lui, Br. : il a sorti son cahier du cartable, il va l’ouvrir à la bonne page, bientôt, et poser sa règle – non ! il trace une marge, déjà. Avec des gestes de funambule, il applique maintenant un point à la fin du titre et inspire profondément. Il écrit ; il travaille.
Le silence règne, la sérénité s’est installée. Chacun savoure la quiétude d’une application partagée, la joie d’une même attention à une même tâche, la satisfaction de progresser ensemble dans la bonne direction. Soudain Br. apostrophe un de ses voisins :
— Ouvre une fenêtre, vite, ça schlingue ici. Quelqu’un a pété !
Le séisme est proche : les animaux se hérissent. Ils m’adressent les signes de nervosité que leur dicte leur instinct primitif avant le cataclysme redouté : regards anxieux et hallucinés, tics et toussotements, mouvements incontrôlés. L’élève interpellé par Br. semble lui-même pétrifié : son immobilisme interloqué sollicite l’acteur que je me sens devenir. Sous les yeux d’un public interrogateur, j’ouvre largement les deux vantaux de chacune des quatre fenêtres : la météo est clémente, un souffle sec balaye les inquiétudes. Ils sont trop proches de la solution du problème et trop heureux du travail accompli : leur plaisir et leur choix sera le chemin du devoir. Cette fois je tiens mon public :
— Respirez un bon coup, et terminez ce que vous avez si bien commencé, conclus-je. Dans cinq minutes, pas une de plus, je ramasse les copies.
Il fulmine, Br. Je sens les autres ricaner.
M. BACKELJAU