Conclusion tardive

D’habitude, je m’en sors par une pirouette :

— Au lieu de donner un coup de pied dans le cartable de ton voisin, tu ferais mieux de donner un coup de main à ton camarade !

… ou par une atteinte de colère :

— Vous sortez tous de ce local et vous attendez dehors que je vous aie donné le signal d’entrer !

Ce matin, avant même que ne commence la première leçon, je me sens fatigué, profondément, immensément. Une indicible lassitude. Aussi resté-je* muet. Je ne m’y force pas, non. Les mots me manquent, simplement, ou plus précisément, l’envie, l’idée de parler. De LEUR parler. Ils entrent, se bousculent, trébuchent, s’invectivent. Ils s’installent, malmènent les chaises, s’adressent des menaces de fauves à l’étroit. Ils extirpent leur matériel de sacs bruyants ou se battent avec des bretelles emmêlées, posent violemment leur classeur sur un pupitre décoré selon leur fantaisie. Ils se révèlent la dernière histoire qu’ils n’ont pas eu l’occasion de se raconter plus tôt.

Je reste muet. Debout, certes, mais pas raide, ni mou. Immobile. Impassible. Les conversations meurent. À mon insu, plusieurs ont dû me jeter un regard en biais. L’homme exténué que je suis à l’instant offre à leurs yeux l’image du quadragénaire de glace. Les moins prompts à se discipliner cèdent à la fascination. Dans un silence étrange, une voix conclut :

— Vous avez raison, Monsieur, il faut répondre aux imbéciles par le silence.

M. BACKELJAU

 Cet épisode doit en effet remonter au début des années nonante.