Je mentirais si je niais m’amuser souvent en classe.
Un jour, je pose la question :
— Qui a écrit « Le Grand Meaulnes » ?
Signes d’hésitation sur les visages, pincements de lèvres, regards fuyants. Quelqu’un se dévoue, pas le plus éclairé mais souvent au nombre des facétieux :
— Ce n’est pas Tchekhov ?
La réponse fuse sur un ton si peu interrogatif que, pris au jeu, je réplique d’emblée :
— Exact !
Flottement dans les rangs, regards sceptiques. Celui qui a répondu semble lui-même perplexe, comme désorienté, il est temps de trancher :
— Exact : ce n’est pas Tchekhov !
Et là, immédiatement, car ils ont le sens des mots et des situations, ils plongent dans la brèche offerte, heureux du dépaysement :
— Ce n’est pas Balzac !
— Ce n’est pas Camus !
— Ce n’est pas Colette !
— Ce n’est pas Sartre !
— Ce n’est pas Flaubert !
— Ce n’est pas Stendhal !
— Ce n’est pas Frison-Roche !
— Ce n’est pas George Sand !
— Ce n’est pas Malraux !
— Ce n’est pas Gide !
— Exact ! Absolument. En effet : ce n’est aucun de tous ceux-là ! Bravo ! Quelle culture !
Après le déchaînement* de réponses empressées et la jovialité fulgurante qui s’est communiquée mais va se tarir, un doigt timide s’est levé, une voix hésitante mais sagace propose :
— Ce n’est pas Alain-Fournier…
— Vous faites erreur, là, ajouté-je* aussi complice de la bonne élève consciente du jeu et feignant la naïveté que de ceux qui se réjouissaient du tour, vous vous trompez, désolé pour vous : c’est Alain‑Fournier !
Et tous de jeter des regards apitoyés vers une première de classe quittant l’Olympe pour rejoindre des mortels s’égarant aussi vulgairement !
M. BACKELJAU