Quatorze

Retrouvailles

— Quatorze, s’il vous plaît !

J’avais interrompu l’ascension de la cabine en appuyant sur le bouton du rez‑de‑chaussée. Comme les portes coulissantes s’écartaient, un type d’allure sportive m’avait adressé un regard interrogateur tandis que sa main droite errait expectative sur la vingtaine de boutons correspondant aux étages. Ou il s’amusait à jouer au liftier ou il venait des abysses de la tour. À ses pieds, un volumineux sac de sport, en guise de pochette, des lunettes solaires repliées, une forte odeur de menthol trahissant la gomme à mâcher qu’il avait dû coller sur la cloison, son agitation empathique me le faisait classer dans la catégorie des gaillards qui se tapent (ne lisez pas : qui se tirent ) dans le dos avant de déjà connaître leur nom.

L’élan de la nacelle fut coupé net au neuvième : le type en baskets m’envoya un « Salut ! » au parfum hollywoodien, bousculé par deux adolescentes primesautières étonnées de me voir :

— Vous montez ? Alors on ne monte pas ! Nous, c’est pour descendre !

Le rideau métallique glissa sur cette vision en forme de clip.

Dans le grand hall de l’immeuble, j’avais eu beau sonner plusieurs fois chez mon ami d’autrefois, je ne l’avais pas entendu répondre. Parmi l’impressionnant assortiment de noms, j’avais bien vérifié si je ne sautais ni une ligne ni une colonne… Comme une personne sortait et me tenait la porte, j’étais entré sans trop réfléchir.

J’avais fait autrefois mes études avec lui, nous nous étions rapprochés, avec deux ou trois autres de notre promotion, et les circonstances avaient séparé insensiblement nos routes. Et voici que, après tant d’années de vies parallèles, j’avais reçu de lui un courrier : « Était-il devenu le président de l’amicale des anciens ? » Non… une lettre étrange, qui m’invitait simplement à lui rendre visite dans l’appartement où il s’était récemment installé : il serait heureux de me voir – il avait l’une ou l’autre chose à me confier, ajoutait-il étrangement. Je n’en savais pas plus : pas de numéro de téléphone, pas de courriel – seul le numéro de l’étage, avec cette précision : « la porte au bout du très long couloir ». Une heure de rendez‑vous assez précise : à partir de quatorze heures – sans alternative au cas où j’eusse été indisponible.

Étage quatorze. Calme impressionnant. Un palier éclairé à gauche par une haute fenêtre – quelle vue ! – et percé de deux portes coupe‑feu closes. Celle de gauche, à en croire le logo fixé à hauteur des yeux, devait ouvrir sur l’escalier, j’ouvris celle de droite. Aucune lumière, sinon un point rouge vacillant sur lequel j’appuyai. Un corridor d’une longueur impressionnante courait à travers tout le plateau, décoré seulement d’une succession de portes à intervalles réguliers. Intégré dans la plaquette de sonnerie, le nom de l’occupant. Aucune présence, ni humaine, ni animale ; pas de radio, aucun bruit d’activité quelconque. J’atteignais le bout : en face de moi, une porte ouvrait sur un escalier de secours éclairé par une croisée que protégeait une petite terrasse ; à ma gauche, une porte : celle que je cherchais. Aucune indication d’identité de mon hôte.

Je fus envahi soudain de sentiments confus et contradictoires : curiosité et inquiétude, impatience des retrouvailles et contrariété d’être venu. Pourquoi ne sonnais-je pas ? pourquoi ne frappais-je pas ? pourquoi restais-je là, stupide et apathique ?

Le doute me paralysait : après tout, rien ne m’obligeait à me rendre chez cet ancien ami dont je ne savais plus rien. En outre, sa façon impérative de m’imposer un rendez-vous me laissait augurer que son ancienne aménité avait laissé place à une grande rigidité d’esprit. Regrettant donc ma promptitude à accepter l’invitation, je décidai de rebrousser chemin, déterminé à envoyer à mon camarade d’enfance un courrier signifiant que je serais disponible dans quelques jours, et que nous pourrions nous rencontrer dans un café de mon quartier. C’est alors que les lumières du couloir s’éteignirent brusquement – sans doute la minuterie avait-elle interrompu le courant. Je me retrouvais perdu, noyé dans le noir, au bout d’un couloir interminable. Je n’avais plus le choix : il ne me restait plus qu’à raser les murs dans l’obscurité à la recherche du premier bouton-poussoir… ou à sonner à la porte de mon ami.

(Rédacteur du dernier paragraphe : A. - 15/09/06)

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