Quatorze (Suite)

Cadeau d’adieu

Installé devant ma table de travail, j’hésitais à ranger l’enveloppe, me demandant quel endroit conviendrait le mieux. J’avais passé une après-midi délicieuse. J’avais depuis longtemps oublié que j’avais été jeune, plus précisément que moi, je l’avais été. Lorsque ma jeunesse était évoquée, j’éprouvais un sentiment curieux de dédoublement, comme si l’adolescent que j’avais été et le quinquagénaire que j’étais devenu n’étaient pas un seul et même individu.

Soudain, l’inéluctable se produisit. Soigneusement, délicatement, insensiblement. Avec un coupe-papier. Le geste précis. Irrémédiablement. L’enveloppe était ouverte ! à l’intérieur, une autre enveloppe, et une feuille de papier à lettres. Je lus :

Vieux curieux !

Je suis sûr que deux jours ne se seront pas écoulés avant que tu ne succombes à tes pulsions et que tu n’outrepasses mes recommandations !

Tu as bien fait : ce paquet t’est destiné. C’est mon cadeau d’adieu. Je ne suis plus tout jeune, et je ne suis pas certain de revoir un jour encore l’Europe lorsque je m’en serai retourné.

Il s’était offert un nouvel ordinateur, complété des périphériques les plus récents. Il avait rassemblé toute la documentation relative à nos études communes dont il disposait : photos, journaux d’école ou clandestins, bulletins, et autres pages de cahier artistement annotées ; il avait tout passé au scanner, il avait reproduit patiemment ces souvenirs avec un imprimante laser couleur et avait fait relier l’ensemble en un merveilleux album. Un angle intérieur de la couverture était muni d’une pochette où était glissé un disque numérique qui rassemblait ces données.

Je restai longtemps à considérer ce pan de ma vie qui m’avait échappé et que je retrouvais là en même temps que le souvenir d’un camarade.

M. BACKELJAU

Fin

Chapitre précédent :
voir arborescence à gauche (quatre possibilités)