Quatorze (Suite)

Au poste !

De retour chez moi, je posai le paquet sur la planche supérieure de ma penderie : il ne gênerait pas les rayons de ma bibliothèque, ni les rangements de mon bureau, nombreux mais à peine suffisants.

J’oubliai immédiatement et ma mission éventuelle et la visite elle-même. Ce rendez‑vous ne m’avait pas laissé un sentiment franchement agréable, et d’autres préoccupations captaient ma conscience.

J’avais récemment introduit un dossier auprès de l’administration pour me porter candidat à la fonction de Directeur de la culture. J’occupais le poste par intérim mais je n’en avais pas le titre. Depuis plusieurs années, je m’étais investi dans de nombreuses formations, j’avais accompli un travail considérable dans ce secteur, si bien que peu de personnes pouvaient faire valoir des compétences égales aux miennes pour exercer ce mandat de droit.

Que je fusse occupé à étudier un dossier ou que je remplisse une mission extérieure, je ne voyais pas le temps passer tant mes tâches professionnelles m’absorbaient et parce que mon intérêt pour cette activité croissait à mesure que j’en découvrais de nouvelles facettes.

Je buvais ma dernière tasse de café avant de prendre la route comme retentit longuement le timbre du vidéophone. Je n’avais encore jamais été dérangé au lever du jour.

— Nous avons un mandat pour perquisitionner dans votre domicile. Veuillez ouvrir.

Trois ou quatre policiers en uniforme et deux fonctionnaires en tenue de ville eurent vite fait d’exhiber, sous mes yeux interrogateurs, l’enveloppe, qu’ils avaient décachetée, sous le couvert de laquelle ils m’invitèrent à les accompagner.

Écroué au poste de police, je fus sollicité de leur révéler ce que je ne savais pas. Selon eux, le paquet contenait des dossiers secrets dérobés à une entreprise de recherche multinationale et, puisque je ne leur déclarais pas le nom de complices par qui je les avais obtenus, ils me tenaient pour seul coupable de ce détournement.

Le nom de mon « ami » était trop courant pour être significatif, même assorti du prénom. Le magistrat prétendit avec ironie qu’il connaissait au moins un Léon Devos, qu’il était peintre mais décédé. Il m’aurait fallu préciser sa date de naissance et son adresse, pour le moins, car le nom seul n’était pas repris dans leurs fichiers d’auteurs de délits. Quant au propriétaire de l’appartement où j’avais été reçu, il ne correspondait pas au signalement de mon « ami » fourni par mes soins, et le bien, libre depuis un trimestre, était en attente de nouveaux locataires pour le début du mois suivant. L’adresse sur l’enveloppe ? Celle de la firme lésée !

Le juge me relaxa provisoirement mais sous l’engagement de ne pas quitter le pays. L’administration m’avait suggéré de solliciter un congé tant que mes démêlés judiciaires n’étaient pas éclaircis à mon avantage, et elle l’avait immédiatement accepté.

Dans les services que je dirigeais hier encore, certains étaient d’avis qu’il était temps que l’on mît fin aux anciennes pratiques, si bonnes fussent-elles et a fortiori quand elles l’étaient moins. D’ailleurs, avais-je appris à la faveur de quelque indiscrétion, une jeune dame, très brillante et bien recommandée, avait brigué le poste pour lequel j’avais investi une grande partie de ma vie. Elle l’obtint, en dépit de nombreuses objections soulevées par quelques‑uns, qui m’avaient parfois été hostiles auparavant.

Quelques mois plus tard, le juge en charge de l’enquête me révéla que la multinationale ne maintenait pas la plainte qu’elle avait introduite, les documents lui ayant été restitués et un usage délictueux des informations n’ayant pas été confirmé.

Il ne voyait pas, me confia-t-il, le mobile qui aurait pu me pousser à détenir lesdits documents, il avait cherché en vain le vecteur entre l’entreprise et moi-même, et ni voleur ni passeur n’avaient été identifiés. Il était conscient que cette affaire avait nui à ma carrière, sans admettre qu’une preuve intentionnelle pût être établie. Il reconnaissait toutefois que le prétendu ami, perdu de vue pendant trente ans, avait joué un rôle dans cette affaire mais qu’il ignorait lequel. L’homme n’avait pas été retrouvé, son identité restant d’ailleurs inconnue.

Encore un détail : le magistrat ne put jamais établir comment ou par qui l’équipe qui avait perquisitionné dans mon domicile avait appris qu’elle y trouverait des documents volés. Quant à mon ami, dont l’histoire avait été reconstituée depuis la fin de ses études, il était décédé depuis huit ans déjà.

La jeune directrice fut rapidement promue à des fonctions plus dignes de ses talents, et le poste de direction par intérim me revint. Je me gardai de solliciter quoi que ce fût, puisque je n’étais guère physionomiste…

M. BACKELJAU

Fin

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