Bassin scolaire

Petit-déjeuner

— Y suis-je maintenant ?

— Non pas encore ! tu n’as pas bougé d’un pouce !

— Et maintenant ? M’y voilà ?

— Non recule encore de trente centimètres, mon ange, ou tu ne pourras pas fermer la porte !

Notre auto fit un brusque bond et heurta violemment le mur arrière du garage qui s’abattit comme un domino et entraîna dans une poussière aussi aveuglante que le vacarme était assourdissant la façade des huit étages de notre immeuble – côté jardin, il est vrai. Les derniers mots que j’entendis mon épouse prononcer, sous l’épaisse couverture agitée de soubresauts brassant l’air, mais si lointains que je pensais moi-même avoir perdu conscience, avaient été : « Tu m’entends ? »

C’est vrai : nous étions lundi, il était bientôt six heures et il ne me fallait pas traînailler si je voulais arriver le premier, comme j’aimais à le faire, cette fois au Bassin scolaire des Quatre-Vents. J’étais journaliste indépendant, à la recherche de sujets susceptibles de plaire à la fois aux lecteurs et à la rédaction, et néanmoins pittoresques, car mes effets de plume masquaient piteusement ce goût de déjà-vu qu’engendrent la vie dans les grandes villes et l’incessante chronique que les médias en tiennent. Ah ! si j’avais pu leur raconter mon cauchemar ! car mon épouse avait pour consigne de ne pas me laisser dormir ce matin si elle se réveillait la première. Nous avions banni le réveil : il fallait que l’injonction du lever vînt de l’un de nous !

Samedi soir, nous avions reçu des amis qui avaient plaisanté :

— Pourquoi cherches-tu toujours le  sujet ? Les gens sont si habitués à l’exceptionnel que c’en est devenu leur quotidien ! Surprends-les : parle-leur d’une question strictement sans intérêt ! Je ne sais pas, moi : va visiter une école…

— Oui, voilà… à l’improviste !

 

 

Je n’étais pas sûr que ce fût une bonne initiative et, à aiguiser mes appréhensions, j’aurais donc très mal déjeuné si mon épouse ne m’avait glissé une phrase du genre :

— Oh ! à propos, il faut que je te dise : tu sais, j’ai reconduit ma sœur chez elle hier soir ? Eh bien, la voiture ne s’est arrêtée que contre le pneu que tu as placé à hauteur du pare-chocs.

— Ah ? Oui, c’est dans ce but que je l’ai accroché là !

— Et le pare-chocs s’est détaché ! J’ai cru plus prudent de tout laisser en l’état, que tu voies toi-même… Tu crois que je puis rouler ainsi sans ennuis avec la police ? De toute façon, toi, tu fais le centre-ville, l’auto ne ferait que t’encombrer…

 

 

La réalité dans la cuisine paraissant plus rassurante que le rêve d’où j’émergeais, mon épouse ne comprit pas l’insouciance avec laquelle je l’écoutais, et elle devait se demander si j’avais bien compris… Elle hasarda un « Tu m’entends ? » susurré d’une voix de velours quand l’écho des cavernes avait ponctué ma nuit d’un point douloureux.

— Ne t’inquiète pas pour moi, prends-la, disposes-en ! Mais, tantôt, range-la à reculons : l’autre pare-chocs perdu, elle ne manquera pas d’allure !

Elle hésitait sur la mine à adopter : afficher l’air horrifié et entamer le conflit ou fendre sa bouche d’un large sourire, considérant l’affaire classée.

Envahi de la certitude philosophique que le monde est bien fait, et le mien présentement – dans quel état eussé-je en effet été si le destin avait distribué autrement rêve et réalité – je partis la mallette à la main, le nez en l’air, sautillant au rythme d’une humeur lutine, vers l’école.

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