Bassin scolaire (Suite)

Projets

Échangés sur le mode pétillant ou amer, à la manière assertive, interrogative ou injonctive, les sujets de conversation, tantôt vifs, tantôt frivoles, lyriques ici, dramatiques là, masquèrent totalement notre arrivée dans le réfectoire des professeurs, si bien que le commis aux dossiers suspendus renonça à me présenter solennellement. Le « Che » serait-il apparu en ce cénacle qu’il aurait attendu sur une voie secondaire le passage des grands convois, des grands contrats, des grands combats, des petites infamies aussi, menant le cheptel étudiant vers des lendemains souriants.

Mon guide avisa une collègue de son âge et lui confia la réponse à un souci dont elle avait dû s’épancher auprès de lui. Dans le mouvement, il lui signala qu’il avait un invité, insérant ainsi un coin dans la pédagogique carapace d’indifférence. Un « Et vous êtes journaliste ! » flûté sur le mode majeur avait interrompu la mécanique des machines savantes. Du fond de la salle, une voix me félicita pour l’intérêt que je portais à l’école, on s’en étonna, on ironisa. Je fus ballotté ainsi du clan « Cela-va-de-mal-en-pis » à la coterie « Ce-projet-est-d’un-porteur ! », menaçant tous deux l’espèce « Fais-honnêtement-ton-travail-et-laisse-braire-les-brebis », d’un parti qui se plaisait à rire à un aparté qui se plaisait à conspirer, quand je me résolus à frapper du dos de la cuiller ma tasse de café vide.

Tant d’yeux jusqu’ici indifférents sinon hautains soudain fixés sur ma personne allaient me plonger dans la confusion où je venais de me mettre si le frou-frou d’étoffe, le déplacement à la fois rapide et imperceptible, le parfum délicat, oui, cette espèce d’aura, bref si la directrice n’avait fait son entrée :

— Alors Monsieur Ival, je vois que vous avez été présenté ! Comment s’est déroulée la visite ? Ne me dites rien : vous êtes satisfait, je le vois ! et pressé de rédiger bientôt votre article ! (S’adressant au corps professoral :) Je crois que vos élèves vous attendent ! On ne voit pas le temps passer ! Vous aussi, Monsieur Ival, vous avez du travail : je vous laisse aux servitudes de votre métier, les rotatives sont impérieuses !

 

 

Comme la salle se vidait, la chef d’école me retint par le coude :

— Les rotatives sont impérieuses mais je le suis également : laissez-moi, cher Monsieur, un exemplaire de votre projet, que je puisse prendre position avant sa publication, cela va sans dire. Simple formalité, naturellement, je vous fais confiance mais tout sera plus clair ainsi.

Le commis aux dossiers suspendus apparut à point pour me reconduire à la sortie, balbutiant un « Dites seulement ce que vous avez vu, et surtout n’inventez rien ! » Je ne lui répondis pas que ma « visite détaillée » s’était limitée grâce à lui à la collecte d’informations me  concernant sur un interminable formulaire !

Dehors, la béème tentait de passer dessus le trentième piéton à l’heure…

M. BACKELJAU

Fin

Chapitre précédent