— Attends ! Où pars-tu ainsi ? J’ai commandé une navette à sustentation isoroburique pour toi : inutile d’aller jusqu’à l’aire de stationnement. Nous serons bipés dès qu’elle sera disponible.
— Comme tu veux, mais deux cents mètres à pied n’a jamais tué personne.
Mon épouse travaillait dans une zone entrepreneuriale implantée à Wauthier-Braine dans les années 2000. La région perdait son caractère semi-rural mais notre vieille petite voiture à explosion y était encore tolérée.
Les grandes villes avaient connu une prodigieuse révolution en matière d’architecture et de transport. La plupart des voiries intérieures rendaient impossible le passage d’un véhicule classique, et les rues en avaient repris des allures de village. Les services d’ambulances et de police avaient été les premiers à se doter d’engins capables de se déplacer en sustentation isoroburique. Quant aux pompiers, ils agissaient principalement à partir des immeubles eux-mêmes, disposant du matériel de secours adapté dès la construction même. Le déplacement des charges lourdes était assuré par l’ancien métro qui s’étendit d’abord à la voirie des tunnels routiers vacants, puis à une grande partie des autres artères : le bâti permettait de sacrifier les anciens rez-de-chaussée, transformés en locaux techniques.
Comme retentissait le signal annonçant la mise à ma disposition d’une navette biplace, je pris congé de mon épouse et m’installai dans le véhicule.
» Bonjour, bienvenue à bord. Pouvez-vous indiquer votre destination ? »
Je dictai l’adresse à la reconnaissance vocale.
« Connaissez-vous l’étage de cette adresse ? »
Un instant pris au dépourvu, je faillis entamer une longue explication mais je me souvins des limites du dispositif. Je répondis « Non ».
« Dans ce cas, vous serez déposé sur la première plate-forme* de l’immeuble. Le trajet sera bouclé en quatre minutes.
» Voulez-vous de la musique ou des infos ? »
Je me contentai d’une sonatine de Diabelli. Il fallait rester de bonne humeur…
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Le déplacement des navettes dans toutes les directions et à des hauteurs variables était orchestré par un central informatique sophistiqué et, jusqu’ici, irréprochable – Si le lecteur en doute, les aéronefs tombent illico comme des mouches et je mets ici un terme à l’histoire. La ville avait ainsi adopté des allures de parc d’attractions et j’avais retrouvé une âme d’enfant quand j’entendis le message :
» Vous avez atteint votre destination, passez une belle journée ! »
Le Bassin scolaire des Quatre-Vents avait été érigé dans les années 2015-2020 sur le terrain des anciens établissements Vandenheuvel. La dénomination à la mode dans les années 2000 avait été conservée, de façon délicieusement désuète. Deux ailes de quinze niveaux encadraient une tour de trente étages au-dessus du sol, ainsi qu’une piscine et des salles d’éducation physique. Le site regroupait toutes les fonctions relatives à la personne humaine : la santé, avec des dispensaires de soins et des logements pour seniors moins valides ; la culture, avec toutes les fonctions scolaires, sinon universitaires en tant que telles, plusieurs salles de cinéma, de théâtre et de conférence, une médiathèque très importante ainsi qu’une chaîne de radiotélévision locale ; enfin, les services de population et de police. Des lieux de culte y avaient également leur place. Les nombreux occupants se réjouissaient de la présence de commerces qui leur évitait d’inutiles détours.
De la plate-forme* de débarquement où j’avais posé le pied, je jetai un regard vers le ciel : le soleil se levait et les façades de verre renvoyaient ses éclats de vie. Le ballet des navettes, qui amenaient les élèves, étudiants et professeurs non résidents, accélérait le tempo. Aux neuvième, dix-neuvième et vingt-neuvième étages, une galerie ouvrant ses portes à l’est, accueillait les véhicules qui, après un sas bloquant tout appel d’air, repartaient par l’ouest de la tour, au pied de laquelle ma journée commençait. Pour moi, il était temps de pénétrer dans la cité.
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