J’avais eu grand-peine à trouver le sommeil. Une chaleur moite avait plongé la ville dans une torpeur pesante. Un orage sourd couvait sournoisement, parsemant le ciel bas de lueurs incertaines et renvoyant l’écho de roulements de tonnerre étouffés. Un air épais écrasait le moindre de mes mouvements. Anéanti, j’avais fini par m’allonger, un livre à la main, et ma conscience avait dû battre en retraite.
Étudiant en sciences du comportement, je loge dans un petit deux pièces cuisine au-dessus de la boutique d’un opticien, située dans la principale rue commerçante de la commune. J’occupe le troisième et dernier étage, sous le grenier. Au premier vit un jeune couple sans enfant : ils travaillent tous les deux à la boucherie du supermarché, dix maisons plus bas. L’employé d’une compagnie aérienne qui occupe l’appartement du deuxième est contraint, par sa profession, à un horaire très irrégulier.
Le dimanche, comme le jeune ménage part souvent en villégiature et que le steward est rarement chez lui, si je ne sors pas moi-même, il m’arrive de me retrouver seul la journée entière. En outre, l’opticien observe le jour de fermeture habituel dans le quartier, le lundi ; mais le supermarché reste ouvert et mes voisins y sont donc occupés. Ainsi, bien souvent, la maison m’appartient exclusivement deux jours consécutifs : dans la cage d’escalier, je règne en maître de fond en comble.
Une petite galerie ouverte donne accès, par la porte du fond, au couloir vers les logements et, par une porte vitrée latérale à main droite, au magasin d’optique, dont la vitrine se prolonge ainsi à angle droit – plus exactement, en un quart‑de‑rond, car l’immeuble date des années trente. Le commerçant insiste pour que l’entrée privée reste fermée car son atelier bureau à l’arrière dispose d’une issue vers le couloir. Lorsqu’il est occupé avec des clients, il n’entendrait pas, prétend-il, un visiteur indélicat forcer ce passage ; a fortiori, me dis-je, quand il est absent !
Un dimanche après-midi que je revenais d’une visite chez mes parents, les bras chargés de mille objets qu’ils avaient voulu me faire emporter, j’avais connu une belle frayeur et une grande honte. Comme j’escaladais les volées de l’escalier et que j’allais atteindre mon étage, le sac plastique contenant une trentaine de vidéodisques avait cédé et tout son contenu avait basculé sur les marches. Surpris, j’avais laissé tomber les autres sacs. Mon voisin, en tenue de nuit, surgit de son appartement :
— Je travaille cette nuit… un vol pour Sydney… je récupérais… je suis rentré ce matin vers onze heures… j’ai besoin de repos…
Tantôt il dort, tantôt il est absent : je le croyais absent.
Avais-je été arraché au repos par les éclairs qui jaillissaient maintenant dans le carré de la fenêtre grande ouverte, par les coups de tonnerre retentissant avec une fulgurance inouïe, et par les trombes d’eau qui s’abattaient avec violence sur la ville ? Redressé sur mon lit, les deux bras tendus vers l’arrière soutenant mes épaules, les yeux grands ouverts, j’avais recouvré mes esprits. D’un bond, je me précipitai vers la fenêtre pour la fermer.
Je fis jouer la crémone sur les battants rapidement verrouillés mais l’averse qui ne cessait pas avait inondé l’appui de fenêtre. Dehors, il faisait nuit noire. J’allai prendre un torchon pour éponger quand je fus surpris d’apercevoir un rai filtrer sous la porte d’entrée de mes quartiers. Qui avait déclenché la minuterie ? Une intuition désagréable m’envahit. J’enfilai mes sandales et sortis sur le palier : les lampes venaient de s’éteindre. Aucun bruit mais un fort courant d’air. Je descendis rapidement deux étages, je voulais écouter à la porte du premier mais je compris ce qu’il se passait.
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