Ce soir-là (Suite)

Chagrin

La jeune femme était accroupie dans l’embrasure de la porte ouverte et, le visage enfoui dans les mains, elle pleurait. Presque en silence, en hoquets convulsifs qui eussent été ridicules s’il n’était désolant de voir une si jeune femme dans le désarroi. Que s’était-il passé ?

Il résultait de ses propos mouillés de larmes et ponctués de reniflements qu’elle et son époux avaient pris le repas de midi chez ses parents, qu’ils étaient ensuite allés se promener au Bois de la Cambre le reste de l’après-midi, que, l’orage menaçant, ils avaient sauté dans un tram et s’étaient offert un en‑cas dans un café‑restaurant près de la Bourse, puis une toile au Métropole et qu’ils avaient dansé à la Madeleine jusque tard dans la nuit. Au retour, ils allaient se coucher quand elle évoqua le travail. Étaient-ils fatigués, avaient-ils mal digéré, la météo fut-elle fatale ? Il prit la mouche et sans ajouter un mot sortit en claquant la porte.

J’avais déjà actionné la minuterie une trentaine de fois, il ne rentrait pas et elle n’en revenait pas. Je me désolais pour elle et bientôt pour moi car mon capital patience était dans le rouge, quand elle prit l’initiative de la conversation :

— Oh ! monsieur Ival, vous ne pouvez pas comprendre… Vous ne travaillez pas dans la boucherie. C’est vrai, il a raison, François : on n’est pas un monoprix. Nous, on assure un service à la clientèle. On prévient les attentes du client. On joue à la fois la proximité et la qualité, qu’il dit.

— C’est un bel objectif… c’est bien aussi de stabiliser les prix.

— C’est pas la question ! Le jambon en tranches, c’est mon domaine. Je débite, je dispose, j’enlumine. Entre chaque tranche, une feuille de papier alimentaire. Le client préfère. L’étalage est plus soigné. C’est notre plus. Ils font comme ça aussi chez Rob !

— Si j’avais su que chez vous l’on recevait du papier quand on achetait de la viande, je serais déjà passé…

— Avec vos idioties, Monsieur Ival, je suis encore capable de rire alors que je suis mal-hic-heureuse !

— Non ! l’important, disiez-vous, c’est le service à la clientèle !

— Oui, justement ! C’est ce que me dit toujours François. Il ne pense qu’à son métier, François. Il veut devenir chef de rayon…

— C’est dans l’ordre des choses…

— … peut-être gérant !

— Ils perdraient un bon boucher…

— Et j’ai failli, Monsieur Ival, j’ai failli ! Je l’ai déçu… Samedi soir, il m’a reproché d’avoir empilé les tranches sans l’intercalaire ! Et il avait raison ! Moi, je voulais simplement passer un bon week-end*, alors, je ne lui ai pas dit, je ne lui ai rien dit…

— Votre réaction n’était pas la bonne, si j’en juge par l’état où vous êtes… Une question, peut-être indiscrète : qu’est-ce que vous ne lui avez pas dit ?

— … QU’IL N’Y AVAIT PLUS DE PAPIER ! C’est affreux ! Et je viens de le lui dire, après un si agréable dimanche. Ah ! que je suis malheureuse ! Si vous saviez !

 

 

Un tour de clé dans la serrure en bas. Apparaît l’homme attendu, un peu hirsute et plutôt vociférateur.

— Je suis revenu (Il me vise d’un doigt dramatique) car j’étais sûr de vous trouver ici ! (S’adressant à sa femme comme à une complice à qui il doit un indéfectible soutien :) Monsieur ne se pointe jamais dans notre magasin, je ne l’ai jamais vu devant notre rayon et il prétend te parler en pleine nuit comme si on était cousins ? Monsieur donnerait‑il à ma femme des leçons de merchandising ?

— C’est vrai aussi : ennuyer les honnêtes femmes, profiter de l’absence de leur mari… Jeter la zizanie dans les ménages ! Laissez-nous en paix, espèce de mêle‑tout !

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