Dimanche dernier, aux environs de neuf heures trente, je roulais sur la route en provenance de Halle, en direction de Ninove, à hauteur de Pepingen, quand je les ai entraperçus. Exactement comme ils m’étaient apparus lorsque, enfant, je passais mes vacances d’été chez mes parents qui habitèrent quelques années dans la région.
Je me souviens très bien de la scène. Nous étions attablés pour le repas du soir, mes parents, ma sœur et moi. Comme nous en avions l’habitude, nous passions notre journée en revue. À la vérité, je soupçonne mes parents d’avoir développé cette pratique pour être au fait de nos activités et des petits événements* survenus dans le village lorsque nous étions autorisés à la promenade, c’est-à-dire lorsque nous nous étions acquittés de nos corvées et que leur imagination n’en avait pas conçu de nouvelles.
En cette belle fin d’après-midi, j’avais donc tout raconté, d’une seule traite, et avec force détails. Et maman avait simplement interrompu ma logorrhée d’une phrase dont elle avait le secret :
— Ernest, raconte encore une fois cela, et je te fais enfermer chez Titeca !
La seule mention du nom de cet établissement que je ne connaissais pas mais dont je connaissais bien le ton sur lequel il était évoqué suffit à me faire oublier le tableau que ma franchise leur avait décrit.
Et les vacances se poursuivirent sans anicroches, comme le grain lève et se moissonne, au fil des heures et des jours, au fil des années et des générations.
Mes parents s’étaient installés dans une pittoresque petite ferme du pays flamand, dont le corps de logis, de plain‑pied, présentait sa longueur en front de rue. Une cour pavée séparait le bâtiment principal de quelques constructions basses, les unes à usage de poulailler et de petite étable en face de l’habitation, les autres en position perpendiculaire, abritant du matériel agricole et des resserres, si bien que l’ensemble du bâti formait un U. Par son quatrième côté, la cour s’ouvrait sur une allée qui menait à la rue. De l’autre côté de l’allée s’étendaient prairies et champs à perte de vue – de vue d’enfant, en tout cas. Sur le mur des remises s’appuyait une pompe à bras en fonte, pour le soutirage de l’eau.
La porte d’entrée, en façade extérieure, menait directement dans la pièce principale, la salle à manger, où nous allions rarement, flanquée d’une chambre de part et d’autre. Mais nous préférions contourner la maison et entrer par un petit vestibule ouvrant sur la cour. Au fond en entrant, deux portes : la chambre des parents et la salle à manger ; à main droite, la chambre d’enfants, à main gauche, la cuisine, pièces situées en façade arrière : c’est là que nous vivions. Pour accéder à la troisième chambre, il fallait passer par la cuisine. Au-delà de la cuisine, une petite pièce servait aux ablutions et à la lessive, le reste des sanitaires étant, à l’époque, dans les annexes.
Et voici que, à la faveur d’une nouvelle manifestation du phénomène, ces anciennes images, à vrai dire peu banales, remontaient à la surface de ma conscience alors qu’elles étaient restées enfouies pendant plus de quarante ans dans mon subconscient par la grâce d’une autorité bien trempée, et bien nommée puisqu’il s’agissait de la maîtresse des lieux…
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